Programme du séminaire 2019-2020

Une mémoire cinématographique du futur

PROGRAMME
Le séminaire se tiendra à l’INHA en salle Jullian, de 18h à 20h :

Jeudi 31 octobre 2019
"Du renversement". Intervention d'Erik Bullot
À rebours de toute téléologie, l’archéologie des médias a attiré notre attention sur la survivance et le retour des formes et des techniques. L’histoire du cinéma obéit-elle à un principe de renversement temporel ? Est-elle une anagramme ?
En s’appuyant sur des travaux de recherche personnels autour d’une histoire virtuelle des relations de l’art et du cinéma et d’une étude sur Raymond Roussel et le cinéma, cette séance du séminaire s’attachera à instruire plus particulièrement la notion de remédiation rétrograde. Proposée par Jay David Bolter et Richard Grusin dans leur ouvrage Remediation. Understanding New Media, reprise et développée par Pavle Levi dans Cinema by Other Means, la remédiation rétrograde désigne le fait pour un médium ancien de traduire ou d’imiter les possibilités offertes par un médium plus récent.

Marguerite Vappereau donnera la réplique à Erik Bullot.

Bibliographie indicative d’Érik Bullot :  
Renversements 1. Notes sur le cinéma, Paris, Paris Expérimental, 2009.
Renversements 2. Notes sur le cinéma, Paris, Paris Expérimental, 2013.
Sortir du cinéma. Histoire virtuelle des relations de l'art et du cinéma, Genève, Éditions Mamco, 2013.
Le Film et son double. Boniment, ventriloquie, performativité, Genève, Éditions Mamco, 2017.
Erik Bullot (dir.), Du film performatif, Paris, it: Éditions, 2018.

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Jeudi 28 novembre
Maguelone Loublier (Université du Mans/ESTCA) 
avec Christa Blümlinger (répondante)
« Filmer l'(im)possible : les temps à venir d'Alexander Kluge »
Il s’agira de penser la tension entre possible et impossible dans les films-essais d’Alexander Kluge. Dans son œuvre cinématographique, Kluge ne cherche ni à répéter ni à imiter le réel, mais le représente autrement, en faisant advenir dans l’image et dans les mots les puissances du possible. A partir de l’analyse du possible comme « catégorie esthétique » (Deleuze/Guattari), nous verrons comment les films de Kluge représentent le possible pour donner de l’élan au réel, pour y créer du possible et faire surgir l’imprévisible et l’impossible. En entrelaçant les temporalités, en tissant fiction et histoire, Kluge imagine d’autres possibilités et crée de l’impossible ; il offre ainsi au cinéma un « récit au subjonctif », qui échappe à la narration au présent et à l’imparfait.

Normalienne, agrégée d'allemand, Maguelone Loublier est actuellement ATER à l'Université du Mans. Elle a soutenu une thèse en études cinématographiques à Paris 8 et à la Goethe-Universität (Francfort-sur-le-Main) sur les manifestations de la voix dans l'oeuvre d'Alexander Kluge : « Variations et métamorphoses. Une voix allemande: Alexander Kluge ». 
Elle a publié : « L'ombre d'une corne de taureau ou le conte de l'Enfant obstiné chez Alexander Kluge » (Germanica, 61, 2017), "Eine gespenstische Stimme geht um in Alexander Kluges Filmen" (Alexander-Kluge-Jahrbuch, 5, 2018) et « Le film-essai: quand le je-ne-sais-quoi de la voix et le presque-rien du silence ponctuent l'image (Godard, Marker, Kluge) » (Voix et silence dans les arts: passages, poïèsis et performativité, 2019).

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Jeudi 30 janvier 
Ophir Levy (Paris 8/ESTCA) avec Sylvie Lindeperg (répondante)

« The time of this story is the future ». Du bon usage de l’anticipation pour faire émerger la conscience des crimes de masse
Dans la proximité immédiate avec des faits génocidaires, il arrive que la fable cinématographique se conjugue au futur, comme s’il s’agissait de s’accorder, par cette distance artificielle, le recul nécessaire à l’appréhension d’un événement qui déborde l’entendement. L’exemple le plus emblématique d’une telle démarche est sans doute None Shall Escape d’André de Toth, film tourné en octobre 1943 et sorti en février 1944, qui s’ouvre sur ces mots : « The time of this story is the future. The war is over » et qui imagine l’hypothétique procès d’un criminel de guerre jugé devant le « Tribunal International du district de Varsovie ». Alors même qu’Auschwitz fonctionne à plein régime, ce film est le premier à évoquer frontalement le sort des Juifs dans une Europe sous domination nazie. 
En revenant sur la genèse de None Shall Escape, mais également en sollicitant d’autres exemples tirés aussi bien de la littérature de la fin du XIXe siècle que des dramatiques radio de l’immédiat après-guerre, nous voudrions interroger cet enchevêtrement des temporalités si caractéristique des récits marqués par la mémoire du génocide et nous demander quelles pourraient être les vertus épistémologiques d’une telle projection de l’actualité dans l’avenir.

Ophir Levy est maître de conférences en études cinématographiques à l’université Paris 8 – Vincennes – Saint-Denis. Sa thèse consacrée à la migration des images d’archives de la déportation et à l’empreinte souterraine de la mémoire de la Shoah dans le cinéma contemporain (sous la dir. de Sylvie Lindeperg, université Paris 1 - « Prix de la Recherche » de l’Inathèque en 2014) a donné lieu à la publication de l’ouvrage Images clandestines. Métamorphoses d’une mémoire visuelle des « camps » (Hermann, 2016). Il est également l’auteur de Penser l’humain à l’aune de la douleur. Philosophie, histoire, médecine. 1845-1945 (L’Harmattan, 2009).

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Jeudi 13 février
Jennifer Wild (université de Chicago) avec Arno Gisinger (répondant)
« Les images des barricades »
La communication de Jennifer Wild portera sur des dimensions politiques et matérielles d’un devenir temporel de la photographie.
Elle s’interrogera sur la capacité de « reconnaissance radicale » qu’a l’image photographique à l’égard des sujets marginaux, opprimés ou « subalternes ». C’est à partir des photographies des barricades de la Commune de Paris (1871) que sera menée l’enquête historique sur les révolutions politiques, culturelles et artistiques, à travers la photographie, le cinéma et les arts.
Les photographies des barricades constituent, d’une part, les traces historiques d’une insurrection passée et de la résistance « performative » des citoyens. Mais elles constituent aussi le fonds à partir duquel explorer les esthétiques, politiques et matérielles, que permet la « nouvelle » photographie (circa 1871).
D’autre part, ces photographies font également de l’image des barricades un ensemble figural ou une forme qui réunit soulèvement populaire et stratégies matérielles. A la demande de reconnaissance sociale et politique, cette combinaison associe surtout une demande de visibilité
L’idée centrale de cette intervention est que la barricade offre un point de vue alternatif permettant d’examiner les formes photographiques et filmiques ultérieures. Celles-ci mettent en relief la matérialité de la photographie, à la fois en termes de longue durée (de la politique esthétique de l’image) et comme capacité de la photographie à libérer les sujets photographiques de leur position culturelle subordonnée, afin qu’ils puissent être reconnus dans leur intégrité et leur humanité. 
Cela met en lumière le fait qu’ont été sous-estimées les relations du médium photographique avec l’Histoire comme avec la fonction historique de l’esthétique politique de l’image.

Jennifer Wild, Professeure dans les deux départements de Cinema & Media Studies et Romance Languages & Literatures à L'Université de Chicago, est l'auteure du livre The Parisian Avant-Garde in the Age of Cinema (University of California Press, 2015).
Arno Gisinger, Maître de conférences au département de photographie (UFR Arts, Philosophie, Esthétique) à l’Université Paris 8, est photographe, plasticien et historien. 

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Jeudi 12 mars
Dork Zabunyan (Paris 8/ESTCA) avec Matthias Steinle (répondant)
« Trump, un film d’Amérique »
Après discussion à propos de la consigne « le 5 mars, l’université s’arrête", il a été décidé de maintenir la séance du jeudi 12 mars. 
Dans le contexte actuel de mobilisation contre le projet de la réforme de l'université (LPPR), il nous a semblé important de poursuivre une réflexion qui cherche à aiguiser, avec le cinéma, des outils d’analyse pour comprendre et éventuellement avoir prise sur notre histoire contemporaine.
 À cette décision, Dork Zabunyan aimerait ajouter ceci, en lien avec le sujet de son intervention : 

« La LPPR est triste, Trump est archi-triste. Et ce serait encore plus triste de ne pas échanger sur l'une comme sur l'autre dans le cadre d'un séminaire qui se veut critique et qui existe depuis 17 ans malgré toutes les contraintes économiques ».
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L'élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis d'Amérique a bouleversé les modes de représentation fictionnels du pouvoir politique au cinéma comme à la télévision. Les scénaristes de Hollywood sont en crise et les showrunners de séries télévisées sont aux abois : le 45e président  américain ne ressemble à aucun autre, et il rend obsolète la figure même du « leader du monde libre ». 
Plusieurs questionnements qui engagent l'avenir de la création cinématographique accompagnent cette crise de la fiction à l'ère de Trump : un biopic de l'actuel président américain qui ne tomberait pas dans l'écueil du bêtisier est-il possible ? Si une caricature de la caricature est contre-productive d'un point de vue critique, quelles puissances d'expression le cinéma peut-il mobiliser pour dénoncer le fascisme mêlé de bouffonerie de Trump ? La fiction historique peut-elle se prévaloir de faire le « procès » du président américain, comme Hans J. Syberberg s'était proposé de réaliser, avec les moyens du cinéma, le « procès de Hitler » (dans Hitler, un film d'Allemagne, 1977) ? Peut-on esquisser au final les contre-images de Trump qui resteront dans nos mémoires ? Et ces contre-images pourront-elles constituer à leur tour le contrepoint d'un individu dont l'action politique annule le passé et méprise l'Histoire ? 



Dork Zabunyan est professeur en cinéma à l'Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis. Deux de ses ouvrages ont été récemment traduits en anglais : Foucault at the Movies (avec P. Maniglier, Columbia UP, 2018, trad. Clare O'Farrell) et The Insistence of Struggle (IF Publications, 2019, trad. Stefan Tarnowski). Il prépare actuellement un essai sur les images de Donald Trump.