Programme du séminaire 2012-2013


THEME DE RECHERCHE 2012-2013 :
« Construire, détruire : Mémoires filmiques de l’ "Autre" »

Le thème annuel du séminaire nous conduira à interroger  l’ambivalence de la mémoire qu’élaborent films de fiction et documentaires,   en particulier dans les productions audiovisuelles qui mettent en œuvre un imaginaire de l’« Autre ».

1.      Comme dispositif d’enregistrement, le cinéma a pu donner l’impression de « déléguer à l’archive le soin de se souvenir » (Pierre Nora, « Entre histoire et mémoire »).

Mais les images et les sons enregistrés, en palliant les défaillances de nos souvenirs personnels, ont fini par supplanter les formes vives de la mémoire.
Cette mémoire prothétique non seulement oblitère tout ce qu’elle n’a pas enregistré, mais ressasse mécaniquement les seuls événements du passé qu’elle a cadrés et assemblés.
Enfin et surtout, dans le défilement filmique, la dernière image efface la précédente en s’y substituant, ce mécanisme d’effacement variant toutefois selon le mode de diffusion des images (cinéma, TV, Web, etc.).
La conjonction de la sélection (de l’événement, du cadre, du montage), de la répétition et de la logique de flux confère au film-mémoire un pouvoir de conservation doublé d’une puissance de destruction des mémoires collectives (où le lien vécu avec le passé est promesse de la survie du groupe).

2.      Cette ambivalence est particulièrement sensible dans les films qui ont construit une image de l’« Autre », car si l’on filme toujours autrui, le filmer comme « Autre » est un geste tout différent, dont les enjeux idéologiques ou la visée éthique doivent être analysés.

Qu’est-ce qui définit, en effet, autrui comme « Autre », c’est-à-dire non comme alter ego, mais comme radicalement autre ?
Tant que je le considère comme un semblable, l’ennemi n’est qu’un adversaire. Il cesse de l’être lorsque je ne me mets plus imaginairement à sa place, lorsqu’il me semble ne posséder aucun des traits d’humanité que je reconnais comme miens.
« Sous-hommes », « races inférieures », « peuplades primitives », « civilisations arriérées » : ce sont autant de dénominations de l’« Autre ». Fixé sur la pellicule, cet imaginaire de l’ « Autre », qui ne conserve son image que pour le détruire en tant que sujet du regard, est l’archive tant de l’observateur que de l’observé.
Le radicalement « Autre » peut-être aussi celui qui, par ses actes passés, s’est retranché de l’Humanité : l’ancien bourreau, le tortionnaire, le « puissant » livrant ses souvenirs à la caméra. Quelles stratégies le filmeur peut-il adopter pour faire entendre cette parole contaminée, rarement vierge de complaisance, où le sujet filmé tente de reprendre le pouvoir ?
Cette mémoire visuelle du « salaud », du « barbare », du « sauvage » ou du « sous-homme » a donc quelque chose à nous dire non seulement de l’ambivalence de toute mémoire, mais aussi du geste cinématographique lui-même.


Planning des séances du séminaire

Toutes les séances ont lieu à l’INHA, en salle Benjamin, le mercredi de 18h00 à 20h00

17 octobre 2012
Jean-Louis Comolli : Réalisateur et critique.
Filmer l’ennemi
"Filmer l'ennemi" est une question qui ne se pose pas pour les films dits "de fiction" : un acteur peut jouer Hitler, ou Le Pen (plus difficile) ou qui l'on veut selon l'ennemi que l'on se choisit. L'ennemi n'en est donc pas un, il ne l'est qu'imaginairement. Dans ce qu'on appelle "documentaire", il en va tout autrement. Nous n'avons pas d'acteur pour jouer nos ennemis. Nous allons devoir prendre contact avec de "vrais" ennemis, ou que nous supposons tels. Ce degré de réalité qui ne se laisse pas réduire par les lois du spectacle impose des manières de faire particulières. Et la question reste posée : comment filmer l' "ennemi" sans réduire ou trahir sa dimension ennemie ? Le cinéma "documentaire" fonctionne de ce point de vue à la manière de la fiction : l' "ennemi" accepte d'entrer dans le film, de partager le plan, etc. Le cinéma est une machine à réduire l'altérité.
Dernières publications  de Jean-Louis Comolli chez Verdier : Corps et cadre (2012), Cinéma contre spectacle (2009), Voir et pouvoir (2004). Voir : http://www.editions-verdier.fr/v3/auteur-comolli.html

28 novembre 2012
Teresa Castro : Maître de conférences, université Paris 3
La transparence et la différence: de l'Autre exotique à l'Autre colonial   
Une séquence particulière de Tarzan, l'homme singe (Van Dyke, 1932) sera le point de départ d'une réflexion sur les différentes stratégies de construction de l'altérité dans des contextes de domination coloniale et sur la façon dont ces constructions s'appuient à la fois sur des éléments socio-culturels et sur les formes filmiques elles-mêmes.

12 décembre 2012
Matthias Steinle : Maître de conférences, université Paris 3
Remont(r)er la mémoire filmique de l’autre
Il s’agira de films montrés aux descendants de ceux qui ont été filmés longtemps auparavant. 
On s’intéressera particulièrement aux films de fiction, présentés ensuite comme des documentaires : par exemple "In the Land of the Head Hunters" (1914) d'Edward Curtis et "De Die Kopfjäger von Borneo" ("Les chasseurs de tête de Borneo", Viktor von Plessen, 1935) / "Die Enkel der Kopfjäger" ("Les petits-fils des chasseurs de tête", Hiltrud Cordes/Eberhard Meyer, 2003).
On verra également des documentaires comme "First Contact" de Bob Connolly et Robin Anderson (1983)

30 janvier 2013
Dork Zabunyan : Maître de conférences, université Lille 3

20 février 2013
Ania Szczepanska : Maître de conférences, université Paris 1
Eux et nous: comment filmer des communistes après 1989 ?  
C’est dans cette distinction emblématique entre un « eux » et un « nous » que s’est construite  la mémoire du communisme en Pologne. « Eux » désigne un groupe hétérogène: les hommes de pouvoir, les agents de la police politique ou encore les sympathisants du régime, tous ceux qui - de manière plus ou moins active - auraient soutenu le pouvoir communiste en place ou simplement pris part au fonctionnement de l’État. En réalité, ce groupe tient surtout par opposition à un « nous » tout aussi difficile à définir, qui va de l’opposant actif au citoyen qui désapprouve le pouvoir incarné par la Pologne populaire.
L’hypothèse de départ est que cette désignation ambigüe – utilisée à l’époque communiste-continue à traverser les films documentaires réalisés après 1989 en Pologne, mais plus généralement dans l’ancien bloc de l’Est. On s’intéressera  aux diverses stratégies en œuvre dans la mise en scène des anciens dirigeants communistes. L’ancien « puissant » n’est-il qu’un « ennemi politique » à abattre que le cinéaste ne convoque que pour mieux le condamner ? Ne sert-il qu’à valoriser la figure héroïque du valeureux opposant? Le cinéma documentaire peut-il nous aider à penser la mémoire du communisme en dehors de l’opposition entre « eux » et  « nous » ?

20 mars 2013
Nathan Réra : docteur en Histoire de l’art, université d’Aix-Marseille
Ennemis rapprochés : une esthétique de la proximité. Le cas rwandais
Le génocide des Tutsi est une expérience de proximité, en ce qu’il a poussé des individus à assassiner leurs voisins, amis, collègues ou proches, pour la simple raison de leur “appartenance ethnique”. À partir de 2001, le gouvernement rwandais a initié les juridictions Gacaca, dans le but de désengorger les prisons et de permettre la réinsertion des perpétrateurs dans la société rwandaise, à la condition qu’ils fassent des aveux. Rapidement, le cinéma documentaire s’est fait le relais de cette « justice de proximité » en recueillant l’image et la parole des bourreaux, dans le cadre de leur internement, de leur procès ou de leur retour dans la communauté. Ces films, comme Rwanda, les collines parlent (2005) de Bernard Bellefroid, ou Mon voisin mon tueur (2009) d’Anne Aghion, se situent dans une filiation avec le travail de Rithy Panh au Cambodge tout en dépassant ce modèle, notamment lorsqu’il s’agit de confronter les bourreaux et leurs victimes. Leurs auteurs posent (non sans ambiguïté) la question du rôle de la caméra au sein du processus judiciaire, mais aussi de la place du cinéaste et du spectateur face à ce “radicalement autre” dont la parole, à mi-chemin entre confessions et déni, tente souvent d’instaurer sa propre “vérité”.

10 avril 2013
Emmanuelle André : Maître de conférences, université Paris 7
Sous le choc de la vie moderne : le sujet de l’hystérie
Au cinéma, l’hystérie ne s’est pas confondue avec la psychanalyse, elle n’en a pas été l’origine. Bien au contraire, l’hystérie a été à l’origine d’un mode de représentation singulier, fondé sur une manière de voir issue des protocoles scientifiques hérités des principes positivistes du siècle d’Auguste Comte. Du cinéma des premiers temps jusqu’aux dispositifs visuels contemporains, l’hystérie pose au cinéma des problèmes d’image, dont les logiques temporelles répondent aux montages de la personne caractéristiques des crises. Surgit alors une singulière pensée de la figure : un théâtre intime de la mémoire et un rythme du sujet, confronté aux chocs de la vie moderne. Ce sujet divisible et éclaté s’est lui-même transformé d’un siècle à l’autre : soumis à la critique d’une domination du regard, il sert aujourd’hui la métaphore d’une aberration politique.

15 mai 2013 
Hélène Fleckinger : Maître de conférences, université Paris 8
Filmer la figure du violeur. Stratégies esthétiques et politiques dans le cinéma des femmes des années 1970